LettresdAmerique.jpg

Aussi vite reçu, aussi vite lu, j'ai dévoré cet ouvrage mais - procrastination oblige - j'ai tardé à venir en parler ici.

Ce recueil rassemble des lettres écrites par Stefan Zweig et sa femme Lotte Zweig au cours des toutes dernières années de leur vie (1940-1942). Une courte période durant laquelle ils étaient expatriés, en transit incessant entre l'Amérique du sud (Brésil et Argentine) et New-York où demeurait leur nièce. 

Il est tout-à-fait étonnant de découvrir Zweig à travers ces écrits intimes, on y perçoit un autre que l'auteur de génie qu'il fut. Dans l'ensemble de ces lettres, on discerne un homme obnubilé par des détails matériels, par son sentiment d'apatridie, son horreur de la guerre, sa peur de vieillir. A l'occasion quelques pointes d'humour ça et là, mais de manière générale, ce sont des courriers empreints de tristesse et d'inquiétude. Lotte, son épouse semble prise des mêmes sentiments.

La lecture de cette correspondance (à sens unique, puisque l'on ne dispose pas, hélas, des réponses) est assez déroutante pour le lecteur ; il faut imaginer Zweig et sa femme sans cesse en déplacement, lui, donnant des conférences en plusieurs langues, elle s'occupant principalement de l'organisation des voyages. S'ensuivent des périodes plus calmes où ils se retrouvent au Brésil dans une petite maison, il fait chaud, Zweig travaille sur la terrasse à ses ouvrages, notamment à sa biographie de Balzac qui fut publiée après sa mort. Il se lamente de ne pas avoir accès à sa propre bibliothèque, d'être éloigné des siens, ne s'autorise pas à profiter complètement de l'instant présent, loin de la guerre, dans un espace serein et paisible. Ce qui ressort principalement des lettres de Zweig, c'est ce perpétuel sentiment de honte, celle de vivre une situation relativement heureuse à l'abri du danger tandis que les siens tentent de poursuivre leur existence au coeur du conflit mondial, là-bas, en Europe.

Ce qui m'a étonnée, je crois, dans ces lettres, c'est la simplicité de l'écriture de Zweig. Je m'attendais à des réflexions sur la vie, à des moments de philosophie, or il n'en est rien et la majeure partie de ces missives est occupée par des réflexions d'ordre domestique. Pour autant, cet échange épistolaire ne se révèle pas ennuyeux, il se lit avec curiosité et avec l'envie de comprendre ce qui poussa cet homme à se suicider en compagnie de sa femme. Leurs dernières lettres d'adieu  clôturent ce recueil que l'on referme non sans émotion. 

Zweig était un grand Monsieur et un auteur extraordinaire, mais c'était avant tout un être humain en souffrance. Un témoignage bouleversant sur une époque terrible.

* * *

Le présent ouvrage est traduit de l'anglais, langue dans laquelle ont été écrites ces lettres pour éviter la censure en temps de guerre avec l'Allemagne.

Les lettres sont précédées d'une longue mais nécessaire introduction qui permet de retracer les étapes principales de la vie des Zweig et le contexte dans lequel ces lettres ont été écrites. 

Quasiment toutes les lettres de ce recueil ont été écrites au frère de Lotte, Manfred Altmann et à sa belle-soeur Hannah.

* * *

Je suis heureux que Lotte apprécie ce mode de vie autant que moi ; seule sa santé continue à me préoccuper. Elle m'a déjà lésé en ne m'apportant pas de dot, maintenant c'est en perdant du poids, à cause de ce satané asthme, qui est un peu moins virulent mais le reste assez pour que chaque nuit s'instaure un dialogue entre elle et le chien d'une maison éloignée.

Stefan Zweig, Rio, 30 octobre 1941

Chère Hannah, tu comprendras qu'on devienne de plus en plus sceptique envers la "civilisation", à en juger par ses résultats glorieux, et que cette vie paisible, plus primitive, plus naturelle, prenne un attrait nouveau ; le seul point faible, ce sont les livres, mais j'ai acheté un Shakespeare, un Goethe, un Homère, et entre ça et quelques autres que je peux emprunter à des gens, il est possible de vivre quelque temps, surtout si on en écrit soi-même. Ce qui me manque, ce sont les manuels de référence, lorsque j'ai besoin de détails, et dans les cas urgents, je dois attendre 4 à 6 semaines pour obtenir des informations de New York. 

Stefan Zweig, Petropolis, sans date - Octobre/Novembre 1941

Repéré chez Marilyne

IchLiebeZweig.jpg

Titre original : Stefan and Lotte Zweig's south American letters
Traduit de l'anglais par Adrienne Boutang et Baptiste Touverey
Edition établie et préfacée par Darién J. Davis et Oliver Marshall
Bernard Grasset, 300 pages, 2012 pour l'édition française et 2010 pour l'édition originale