De Daniel Pennac, j'ai lu avec grand plaisir la saga Malaussène (dont j'ai d'ailleurs tout oublié avec les années, c'est terrible cette mémoire-passoire !), aimé Comme un roman, en particulier pour les droits du lecteur auxquels j'adhère totalement, et étudié avec une classe L'oeil du loup.
Chagrin d'école que j'avais repéré à sa sortie m'a été offert par une amie d'enfance, en clin d'œil à nos années passées côte à côte sur les mêmes bancs du collège.

Ce que je ne savais pas en ouvrant ce livre, c'est que j'allais y découvrir une facette que je ne connaissais pas de l'auteur, son passé de cancre. Un cancre devenu professeur puis romancier, ça pique la curiosité du lecteur ! Mais si Chagrin d'école (j'aime beaucoup ce titre que je trouve poétique) commence comme une autobiographie, la dernière page tournée, il m'apparaît davantage comme un essai sur l'échec scolaire. Le terme essai peut faire fuir certains lecteurs, mais ce texte n'est point ennuyeux et se laisse lire très facilement. J'y ai retrouvé ce que j'aime dans l'écriture de Pennac, ce côté fantaisiste, humoristique et parfois légèrement décalé, mais aussi ce ton de sincérité.
Sous ses dehors bonhomme, Daniel Pennac nous livre des pensées profondes avec une réelle émotion. Je me suis laissée porter avec plaisir par les mots, j'ai souri, froncé les sourcils aussi, car je n'ai pas toujours partagé la vision de l'auteur, mais j'ai apprécié cette lecture. Je lui reproche cependant cette vision "unique", cette systématique prise de position en contre-pied de la pensée "commune". Je penche pourtant plutôt du côté du point de vue de l'auteur, mais sa démonstration m'a parfois, je le confesse, un tantinet exaspérée.

Malgré ce petit bémol, une belle lecture pour aller à la découverte du cancre Pennacchioni et réfléchir (un peu) à la façon dont les élèves en difficulté vivent leur scolarité.

Ah ! Terribles sentinelles, les majuscules ! Il me semblait qu'elles se dressaient entre les noms propres et moi pour m'en interdire la fréquentation. Tout mot frappé d'une majuscule était voué à l'oubli instantané : villes, fleuves, batailles, héros, traités, poètes, galaxies, théorèmes, interdits de mémoire pour cause de majuscule tétanisante.

Il y a ce père, agacé, qui m'affirme, catégorique :
- Mon fils manque de maturité.
Un homme jeune, strictement assis dans les perpendiculaires de son costume. Droit sur sa chaise, il déclare d'entrée de jeu que son fils manque de maturité. C'est une constatation. Ça n'appelle ni question ni commentaire. Ça exige une solution, point final.
Je demande tout de même l'âge du fils en question.
Réponse immédiate :
- Onze ans déjà.
C'est un jour où je ne suis pas en forme. Mal dormi, peut-être. Je prends mon front entre mes mains, pour déclarer, finalement, en Raspoutine infaillible :
- J'ai une solution.
il lève un sourcil. Regards satisfait. Bon, nous sommes entre professionnels. Alors, cette solution ?
Je la lui donne :
- Attendez.
il n'est pas content. La conversation n'ira pas beaucoup plus loin.
- Ce gosse ne peut tout de même pas passer tout son temps à jouer !
le lendemain je croise le même père dans la rue.
même costume, même raideur, même attaché-case.
mais il se déplace en trottinette.
Je jure que c'est vrai.

Dans ma famille, j'avais surtout regardé les autres lire : mon père fumant sa pipe dans son fauteuil, sous le cône d'une lampe, passant distraitement son annulaire dans la raie impeccable de ses cheveux, un livre ouvert sur ses genoux croisés ; Bernard, dans notre chambre, allongé sur le côté, genoux repliés, sa main droite soutenant sa tête... Il y avait du bien-être dans ces attitudes. Au fond, c'est la physiologie du lecteur qui m'a poussé à lire.

Un grand merci Nawal, pour ce beau cadeau qui a attendu trop longtemps dans ma bibliothèque !

Lecture commune avec Abeille, Christelle et Cynthia (au moment où je poste mon billet, seule Cynthia a rendu sa copie, je rajouterai les liens vers les billets de mes autres camarades plus tard)

Gallimard (collection Blanche) - 304 pages