Les grandes vies ~ Magellan (Stefan Zweig)
mardi 2 mars 2010
Au moment où je m'apprête à rédiger ce billet, je reprends en main ce volumineux ouvrage et je réalise qu'il est truffé de post-it qui ont jalonné ma lecture. J'en dénombre pas moins de onze pour une lecture de moins de deux cents pages, ce qui, je crois, est un signe. Signe que ce texte m'a interpellée, signe aussi de sa qualité.
Je n'ai jamais aimé l'histoire telle qu'elle m'a été enseignée au lycée. Si j'avais eu un professeur possédant ne serait-ce que le quart du talent de Zweig, j'aurais été beaucoup plus attentive en cours... Je ne connaissais la prose de cet auteur qu'à travers ses nouvelles, je le découvre à présent dans le cadre d'une biographie, et le charme a opéré de la même manière que pour ses récits de fiction. Il est capable de porter des faits historiques avec une langue tellement simple et vivante qu'on croirait lire un roman d'aventure. Charmée, je l'ai été. Par la forme d'abord. C'est un délice que de prendre une leçon d'histoire de cette manière. Par le fond aussi.
Mais revenons à la genèse de cet ouvrage. Ce livre est " né d'un sentiment peu courant, mais très énergique, la honte ". Zweig se rend au Brésil à bord d'un paquebot. Durant cette traversée de l'océan Atlantique, l'écrivain s'impatiente de la longueur du trajet et culpabilise dans le même temps de ce sentiment qu'il éprouve en songeant aux conditions de vie des hommes qui prenaient la mer aux siècles précédents. Dans la bibliothèque présente à bord, il consulte des ouvrages relatant les premiers longs voyages en mer. Celui de Magellan lui fait grande impression, et de retour en Europe, il se met en quête d'autres livres sur le sujet. Il ne rencontre que frustration : " Et comme cela m'est déjà arrivé plusieurs fois je compris que le meilleur moyen de m'expliquer à moi-même quelque chose qui me paraissait inexplicable était de le décrire et de l'expliquer à d'autres. " Ainsi naît le texte Magellan. Je ne sais pas si Zweig y a vu plus clair après avoir écrit ce livre, mais pour la lectrice que je suis, la démonstration a été magistrale, un texte instructif et passionnant.
Après un retour sur l'origine des premiers voyages maritimes, à savoir la course aux épices, il dresse le portrait de cet homme dont le nom ne m'évoquait jusqu'à présent que celui d'un détroit : " ce petit homme effacé et taciturne ne possédait à aucun degré l'art de se faire aimer des grands ni de ses inférieurs ". Un homme, qui, au moment d'entreprendre le voyage qui le rendra célèbre, est rompu aux techniques que doit maîtriser un navigateur digne de ce nom. " Dix années d'expérience l'ont formé à toutes les techniques militaires, il s'entend à manier l'épée et l'arquebuse, la boussole et le gouvernail, à larguer la voile et à tirer le canon. Il sait lire et tracer un portulan, jeter la sonde aussi bien qu'un vieux pilote et se servir des instruments de bord avec autant de précision qu'un " maître de l'astrologie ". " Il a parcouru les différentes mers du globe, essuyé tempêtes et combats et découvert d'autres cultures.
A présent il a un rêve, celui de rallier les îles aux épices depuis le Portugal en naviguant d'est en ouest et tenter de découvrir un passage entre l'Atlantique et le Pacifique. Ce projet ne séduit pas son monarque qui se détourne de lui, et Magellan va alors se tourner vers le roi d'Espagne qui lui apporte son soutien. " En l'espace de quelques semaines le sans-patrie qu'il était, l'homme méprisé, sans situation est devenu capitaine-général d'une flotte de cinq navires, chevalier de l'ordre de Santiago, futur gouverneur de toutes les îles et terres qu'il découvrira, maître absolu d'une Armada et avant tout maître, pour la première fois, de son destin. " Le rêve du navigateur portugais prend enfin forme, mais les préparatifs sont longs. Il faut penser à tout, ne négliger aucun détail dont l'oubli pourrait se révéler fatal en mer, et prévoir de quoi subsister durant plusieurs mois, voire plusieurs années, pour 265 hommes. " L'alpha et l'oméga de toute nourriture, c'est le biscuit du marin : Magellan en a fait embarquer 21 380 livres [...] selon toute prévision, cette quantité devrait suffire pour deux ans. " Il faut également penser aux navires et à leur équipement, car " les navires sont eux aussi des êtres vivants, qui, à chaque voyage par-delà les mers, usent une partie de leur force de résistance ".
Enfin, l'heure du grand départ a sonné, Magellan lève l'ancre et laisse femme et enfant derrière lui. Quand il entame son voyage à bord de la Trinidad, il ne sait pas ce qui l'attend. Ce seront presque trois années de lutte et de recherches, ponctuées par les mutineries, la famine et les tempêtes. Magellan est un dur à cuir qui obéit à un certain code d'honneur, " une nature rude qui fait régner une discipline de fer dans sa flotte ". Cette traversée interminable va finalement aboutir à la découverte du fameux détroit plus tard baptisé du nom du navigateur.
La dernière étape du voyage doit permettre de rejoindre l'archipel des Moluques en Indonésie, mais ce sera sans Magellan qui mourra avant d'atteindre les îles tant espérées.
Partie de Séville trois ans auparavant, l'expédition de Magellan rejoindra son port d'attache amoindrie mais victorieuse. Ce seront 18 hommes épuisés à bord d'un navire disloqué qui boucleront de tour du monde " à l'envers ".
La découverte du détroit de Magellan est l'aboutissement d'une vie et d'un rêve mais elle ne sera pas reconnue à la hauteur des sacrifices humains qu'elle a engendrés. La percée du canal de Panama achèvera de l'enterrer. Pourtant, ce tour du monde restera une des prouesses de l'histoire de la navigation. Et Zweig de conclure : " Mais ce n'est jamais l'utilité d'une action qui en fait la valeur morale. Seul enrichit l'humanité, d'une façon durable, celui qui en accroît les connaissances et en renforce la conscience créatrice. "
Un récit admirablement écrit et construit qui fait voyager (dans le temps et dans l'espace) par procuration. Zweig a su restituer l'essence même de la vie du célèbre navigateur, c'est tout simplement fascinant.

Commentaires
Ca a l'air passionnant!!! Et tu as donc trois autres biographies qui t'attendent, si j'ai bien suivi?
Très beau billet qui donne envie de lire cette biographie !
Je note.
Alors là tu m'as vraiment donné envie de le lire
J'ai Marie-Antoinette et Marie Stuart de Zweig dans ma PAL.
@kali : Oui, c'est un ouvrage qui regroupe 4 des bios qu'il a écrites, il reste Marie-Antoinette, Marie Stuart et Fouché.
@Cerisia : Tant mieux si mon billet donne envie de lire cette superbe bio.
@Christelle : Ah, veux-tu que nous en fassions une lecture commune ?
L'idée me plaît et comme j'adore l'histoire!
Je vais évidemment lire une biographie pour le challenge, et puis j'ai très envie d'en découvrir. Mais je ne sais vraiment pas laquelle lire dans la mesure où, a priori, aucun des personnages dont Zweig a écrit la bio ne m'intéresse.... Et malgré tout le bien que tu dis de "Magellan", je crois que ce n'est pas celle là que je lirai.... Peut être Erasme ? ou Marie Antoinette ?
Celle de Marie-Antoinette est très bien, moi je crois que je vais lire celle de Balzac
@Edelwe : Alors fonce ! C'est tellement plaisant et intéressant à lire...
@Emeraude : Vraiment aucun ??? Pourtant y a du choix... Et Tolstoï, Disckens... ?
@Cerisia : Celle de Marie-Antoinette figure dans ce recueil, je la lirai donc bientôt.
Ohlalala! Mais tu sais donner envie de lire un essai historique, toi!
J'hésitais à partir dans les essais biographiques de Zweig sur Balzac et compagnie (je participe au Baby Challenge de Zweig), mais je vais peut-être choisir celui-ci... Le côté "grandes aventures" me séduit...
J'adore Zweig et ce que tu dis de ce livre m'intrigue...j'aime l'histoire - mais pas forcément cette période- mais je reste curieuse...pourquoi pas?
@Marie L. : Si tu aimes Balzac je suis persuadée que tu aimeras la bio de Zweig, je crois de toute manière qu'il saurait faire apprécier n'importe quel sujet tant il y met de passion.
@lancellau : Je ne suis pas fana d'histoire mais là c'est un délice.
Maintenant que j'ai ce magnifique recueil chez moi, je vais pouvoir lire cette bio-là ! Encore merciiiiii !!
j'ai rapidement lu ton beau billet mais j'y reviendrai car je viens de l'acheter et que je le lirai prochainement J'ai hâte
@Caro[line|#c2529] : De riennnnnnnnnnnnnnn !
@Bénédicte : Je t'en souhaite beaucoup de plaisir, mais de toute façon avec Zweig c'est forcément du plaisir !!!!
je suis tout à fait d'accord c'est tellement bien écrit
Du coup, je veux le lire! Ce n,est pas la bio qui me tentait le plus au départ... mais bon, elle est dans la loooongue liste de Zweig que je veux lire!
@Bénédicte : C'était vraiment un écrivain extraordinaire.
@Karine
: Ce n'est pas non plus celle qui me tentait le plus, mais avec Zweig, je crois que je pourrais même me passionner pour l'annuaire...