9782070146376FS.gifEn 2014, Sylvain Tesson fait une chute de près de dix mètres dont il réchappera par miracle avec toutefois quelques séquelles physiques. Pendant son séjour à l'hôpital, il se promet, s'il peut de nouveau marcher, de traverser la France à pied à sa sortie. Sur les chemins noirs est le carnet de ce voyage qu'il a pu faire durant l'automne 2015. 
De l'auteur, je n'avais lu jusqu'à lors que Dans les forêts de Sibérie (autre journal d'un séjour au bord du lac Baïkal) que j'avais beaucoup aimé. J'ai acheté ce livre lors d'une rencontre avec l'auteur qui fut passionnante et m'a appris, entre autre chose, que Sylvain Tesson tient un journal depuis des années.
Sur les chemins noirs n'est pas un carnet de voyage au sens classique du terme car l'auteur ne fait pas que relater ce qu'il vit durant ses journées de marche (il omet d'ailleurs volontairement des pans entiers de son voyage), il nous fait aussi part de ses pensées, de ses réflexions de toutes sortes. 
J'ai vraiment apprécié ce texte très court qui ne se lit pas d'une traite, mais au contraire se déguste par petits bouts. Chez Sylvain Tesson j'admire l'érudition, l'esprit, le regard sur le monde et le côté cynique. C'est un homme fascinant avec une écriture superbe, je lirai certainement d'autres ouvrages de lui.

Quatre mois plus tard j'étais dehors, bancal, le corps en peine, avec le sang d'un autre dans les veines, le crâne enfoncé, le ventre paralysé, les poumons cicatrisés, la colonne cloutée de vis et le visage difforme. La vie allait moins swinguer.

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Certains hommes espéraient entrer dans l'Histoire. Nous étions quelques uns à préférer disparaître dans la géographie.

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Un jour où nous naviguions sur la rivière Bikine, au nord de Vladivostok, je l'avais entendu lancer à des Russes qui s'insultaient à grand renfort de putain de bite de mes couilles : " Messieurs, je vous prie de cesser de jurer ", ce qui avait davantage estomaqué les types qu'un coup de knout en travers de la gueule.

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C'était la noble leçon de Mme Blixen devant le paysage de sa ferme africaine : " Je suis bien là, où je me dois d'être ". C'était la question cruciale de la vie. La plus simple et la plus négligée.

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Le nom de Mermoz serait donné à l'établissement. Personne n'ajoutait que le demi-dieu de l'Aéropostale qui avait réparé son avion pendant quarante-huit heures avec une clé à molette n'aurait pas grand-chose à carrer du haut débit.

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Les forêts se doraient, que le sorbier ponctuait de rouge. Les pommiers croulaient sous les fruits. Leurs contours japonisaient la rousseur des orées. Le vent arrachait des paillettes aux arbres des fossés. Elles tombaient en copeaux, motifs de Klimt.

Gallimard, 141 pages, 2016