Les livres, mais aussi tout ce qui touche en général à la seconde guerre mondiale, ce n'est pas ma tasse de thé. Aussi, je ne m'explique pas que ce roman m'ait tendu les bras... En tout cas, une chose est sure, j'ai bien fait de le lire.

Ils m'ont appelée Eva est un roman de jeunesse qui s'inspire de faits réels. En 1942 en Tchécoslovaquie près de Prague, un petit village nommé Lidice va être massacré pour assouvir la terrible vengeance du führer. Des 500 habitants, 340 vont mourir. Une dizaine d'enfants va connaître un sort différent, mais non moins cruel. Parce qu'ils ont les cheveux et les yeux de la bonne couleur, parce que leur nez est fin, ils vont être éduqués en aryens et adoptés par des familles allemandes pour servir leur nouvelle patrie. Milada fait partie de ces élus et va être arrachée aux siens puis rebaptisée Eva. Dans un camp spécial elle va apprendre la langue allemande, mais aussi l'idéologie nazie. Plus tard elle intégrera une famille allemande modèle, devenant la cadette entre une grande soeur et un petit frère.
Si les personnages ont été inventés par l'auteur et les faits romancés, l'histoire s'est malheureusement déroulée exactement de cette manière pour le petit village de Lidice. En 2004, Joan Wolf a pu rencontrer quatre survivants des événements de juin 1942 lors du mémorial de Lidice. Deux d'entre eux avaient été des enfants "kidnappés" comme Milada dans le roman.

Ils m'ont appelée Eva est un magnifique roman. Bouleversant mais toujours pudique, il retrace le destin de cette enfant séparée des siens parce qu'elle était blonde aux yeux bleus. Durant ces années d'exil forcé, l'enfant n'aura jamais à souffrir physiquement. Elle ne sera pas battue, elle vivra dans le confort, bien nourrie, correctement vêtue. Elle connaîtra même l'amour d'une mère de substitution. Mais la souffrance de Milada est bien plus profonde, puisque impalpable. Au fil des mois, elle sera formatée, éduquée de façon à oublier totalement sa culture et ses origines. Elle oubliera jusqu'à son prénom et sa langue qu'il lui faudra réapprendre des années plus tard après la libération. Pendant tout ce temps elle se raccrochera à un objet, une broche que lui a donné sa grand-mère avant qu'elles ne soient séparées. Un bijou qui la suivra partout, seul vestige et témoignage de son passé.

Je ne m'attendais pas à aimer ce roman, pas de cette façon. Bien sûr, ça reste un roman de jeunesse avec un texte court et simple, mais il a su toucher l'adulte que je suis. Parce que Joan Wolf a les mots justes, parce que je ne connaissais pas ce pan de l'histoire, ces enfants "aryanisés", parce que c'est un livre-mémoire, parce qu'il ouvre les yeux et amène de nombreux questionnements. Parce qu'on a tous une histoire, une culture, autant d'éléments qui nous ont construits et font de nous ce que nous sommes, parce que perdre ses origines s'est se perdre soi, son identité. Tragique et cruel destin de ces enfants enlevés à leurs familles au nom de critères physiques. Toute l'horreur et la perversité de cette guerre qui a touché ce qu'il y a de plus précieux chez l'homme, les racines.

J'ai vécu un peu de cette histoire par procuration avec Milada et j'ai souffert pour elle, pour l'absurdité et la cruauté des hommes. 

Joan Wolf nous livre un superbe témoignage qui remplacerait n'importe quelle cours d'histoire sur la seconde guerre mondiale. Je mets précieusement de côté cet ouvrage pour mes matelots quand ils seront en âge de le lire, parce qu'il ne faut pas passer à côté.

Pocket jeunesse - 232 pages