Attention ! Billet fleuve !

Voilà un roman qui a fait couler tant d'encre que mon billet est inutile par avance, mais j'ai malgré tout envie de vous en parler parce que je viens de vivre un moment fort dans ma vie de lectrice.
J'ai traîné ce livre pendant plus de quinze jours, ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais fichtrement rien ! Toujours est-il que malgré le temps que j'ai mis à le terminer, je n'ai pu m'en détacher, incapable ni de lire autre chose, ni de le refermer.

Pourtant c'est un coup de cœur particulier que j'ai eu... Ce n'est pas un de ces coups de cœur qui me tiennent éveillée jusqu'à des heures indécentes, me font tourner les pages plus vite que mon ombre et sortir le mouchoir. Anna Karénine se mérite m'a-t-on dit... Et c'est vrai.

Pour autant son écriture est très accessible et simple, pas du tout comme l'image que je m'en faisais. Paru en 1877, ce roman d'une autre époque est pourtant résolument moderne.
Anna Karénine c'est une histoire d'adultère et une histoire d'amour, celle de sa belle héroïne avec le Comte Vronski. Mais là encore, ne parler que d'Anna serait réducteur, terriblement réducteur. D'ailleurs ce livre aurait pu tout aussi bien s'intituler Levine, mais bien entendu cela aurait eu moins de charme ! Ce que je veux dire ici, c'est qu'Anna Karénine est un roman infiniment dense et riche. Plusieurs personnages en composent l'histoire et finalement celui de Levine prend au fil des pages autant voire davantage d'importance que celui d'Anna. Les destins des différentes familles que l'on rencontre se croisent et se mêlent tout au long du roman. On passe d'un tableau à l'autre, on délaisse un personnage le temps d'un ou plusieurs chapitres pour revenir à un autre que l'on quitte alors à regrets pour s'en retourner vers le premier. C'est un tourbillon d'événements et de pensées ininterrompu. Jusqu'à la dernière page, Tolstoï n'épargne pas son lecteur et lui confie ses réflexions sur la vie en général mais aussi sur l'économie et la politique de son pays, la religion.... Au-delà du roman psychologique qui saisit avec une justesse incroyable les sentiments et les pensées profondes humaines, se profile un véritable essai sur de nombreuses questions. A ce titre le personnage le plus profond et le plus intéressant, mais aussi sans-doute le plus travaillé, est celui de Levine qui se présente comme une sorte de double de papier de l'auteur lui-même. A ce propos, j'ai particulièrement apprécié l'édition Folio classique et ses notes de fin d'ouvrage qui m'ont permis d'accéder à différents niveaux de lecture qui seraient restés invisibles à la lectrice que je suis sans leur aide. Léon Tolstoï a mis beaucoup  de sa vie dans l'histoire et la lecture d'Anna Karénine m'a donné très envie d'en découvrir davantage sur lui.

Au final j'ai adoré ce livre pour de multiples raisons, et pas nécessairement pour celles que je m'imaginais au départ.
J'ai aimé le personnage de Levine qui m'a totalement fascinée, ce portrait de la russie bourgeoise du 19ème siècle, ces vies qui se lient, se délient, ces intrigues, pénétrer dans les pensées intimes de ces hommes et ces femmes, ces réflexions sur la vie et la mort, sur l'essence du bonheur... Et je pourrais encore avancer bien d'autres éléments en faveur de ce magnifique roman. Je crains cependant de ne pas avoir saisi toute sa beauté et sa richesse en une seule lecture, et il me semble qu'une relecture se révèle indispensable pour apprécier pleinement ces pages.

Parvenue au bout de cette lecture je me suis sentie grandie par cette belle histoire qui m'a touchée, inspirée, fait réfléchir. J'ai voyagé en Russie pendant deux semaines... le voyage aurait pu être plus court, mais l'aurais-je autant apprécié ? J'en doute. Il faut lire Anna Karénine parce que c'est un monument et il faut le savourer, prendre son temps pour l'apprécier.

La belle saison fut lente à venir. Un temps clair et glacial marqua les dernières semaines de carême. Si le soleil amenait pendant la journée un certain dégel, un froid de sept degrés sévissait pendant la nuit, et la gelée formait sur la neige une croûte si dure qu'il n'y avait plus de routes tracées. Le jour de Pâques se passa sous la neige. Mais, le lendemain, un vent chaud se leva brusquement, les nuages s'amoncelèrent, et pendant trois jours et trois nuits une pluie tiède et orageuse ne cessa de tomber. Le jeudi, le vent se calma tandis qu'un épais brouillard gris s'étendait sur la terre comme pour dissimuler les mystères qui s'accomplissaient dans la nature : la chute de la pluie, la fonte des neiges, le craquement des glaçons, la débâcle des torrents écumeux et jaunâtres. Enfin, le lundi de Quasimodo, vers le soir, le brouillard se dissipa, les nuages se dissipèrent en moutons blancs, et le beau temps apparu pour de vrai. Le lendemain matin, un soleil brillant acheva de fondre la légère couche de glace qui s'était reformée pendant la nuit et l'air tiède s'imprégna des vapeurs qui montaient de la terre. L'herbe ancienne prit aussitôt des teintes vertes, la nouvelle pointa dans le sol, les bourgeons des viornes, des groseilliers, des bouleaux, se gonflèrent de sève et, sur les branches des osiers inondés d'une lumière d'or, les abeilles, libérées de leurs quartiers d'hiver, bourdonnèrent allègrement. D'invisibles alouettes firent éclater leur chant au-dessus du velours des prés et des chaumes engivrés, les vanneaux gémirent dans les creux et les marais submergés par les eaux torrentielles ; les grues et les oies sauvages jetèrent, haut dans le ciel, leur appel printanier. Les vaches, dont le poil ne repoussait qu'irrégulièrement et montrait ça et là des places nues, meuglèrent dans les pacages ; autour des brebis bêlantes qui commençaient à perdre leur toison, les agneaux gambadèrent gauchement ; les gamins courraient le long des sentiers humides, où s'imprimait la trace de leurs pieds nus ; le caquetage des femmes occupées à blanchir leur toile s'éleva autour de l'étang, tandis que de toutes parts retentissait la hache des paysans réparant herses et araires. Le printemps était vraiment venu.

Pour la première fois la mort, terme inévitable de toutes choses, se présentait à lui dans toute sa tragique puissance. Elle était là dans ce frère au sommeil agité qui invoquait indifféremment Dieu ou le diable. Elle était en lui aussi, prête à surgir aujourd'hui, demain, dans trente ans, qu'importait ! Et qu'était au juste cette mort inexorable ? Il ne le savait pas, il n'y avait jamais songé, il n'avait jamais eu le courage de se le demander.

Depuis la veille, Levine vivait dans un complet état d'inconscience, et comme en dehors des conditions matérielles de l'existence. Il n'avait ni mangé ni dormi, s'était exposé au froid pendant plusieurs heures presque sans vêtements et néanmoins il se sentait frais, dispos, affranchi de toute servitude corporelle, capable des actes les plus extraordinaires comme de s'envoler dans les airs ou de faire reculer les murailles d'une maison.

Gallimard (collection Folio classique) - 909 pages


Et comme j'ai adoré le livre, j'avais très envie de découvrir la dernière adaptation cinématographique en date (du moins à ma connaissance) du roman. J'ai donc enchaîné avec ce film et je dois dire que j'ai passé un fort agréable moment devant l'écran. J'étais à la fois inquiète et curieuse de découvrir comment cette histoire avait été transposée au cinéma. Je voyais mal comment il était possible de restituer toute la richesse de ce long roman en à peine (même pas) deux heures de temps. Les coupes sont inévitables, mais le tout est de bien les choisir. Il me semble que c'est ici le cas et que le film ne dénature pas trop le roman. L'ensemble se tient et reste plutôt fidèle au livre, si ce n'est la suppression pure et simple de la fille d'Anna Karénine tandis que dans le roman elle existe. Un détail qui n'est pas bien grave mais dont je ne saisis pas l'intérêt non plus...
Les décors sont sublimes, qu'il s'agisse des paysages blancs de neige ou des intérieurs fastueux. Le choix de la musique est juste parfait avec notamment des extraits du ballet Le lac des cygnes de Tchaïkovski.
J'aime assez également le choix des acteurs. Seul le rôle d'Anna elle-même me semble moins réussi. Pourtant j'aime l'actrice Sophie Marceau, mais dans ce film il lui manque un soupçon de tragique pour coller au personnage. Je la trouve trop jeune pour incarner le rôle et je n'aime pas du tout la coiffure qu'on lui a faite avec cette frange bien alignée qui accentue son côté juvénile. En revanche je la trouve plus crédible dans les scènes où elle joue la malade. 
Un bon film qui s'en tire plutôt bien avec ce monument de la littérature.
J'ai pris plaisir à prolonger un tantinet mon séjour en compagnie de Tolstoï et ainsi pu me sevrer en douceur !

Anna Karénine, réalisé par Bernard Rose - 1997
Avec : Sophie Marceau, Sean Bean, Alfred Molina, Mia Kirshner, James Fox...

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Le billet de Christelle avec qui je devais faire lecture commune. J'ai été incapable de respecter le timing fixé mais peut importe, j'ai terminé le livre et c'est tout ce qui compte !
Toujours un billet de Christelle sur le film cette fois.

L'avis de Levraoueg, celui d'Erzébeth